Pour cette enquête, nous avons travaillé en sources ouvertes essentiellement sur les réseaux sociaux et notamment TikTok où les passeurs publient de nombreuses offres pour traverser se rendre au Royaume-Uni en traversant la Manche depuis la France.
Nous avons recensé des dizaines de comptes proposant des passages illégaux pour l’Angleterre. Tous les moyens de transport sont proposés : en camion, en avion mais surtout en canots pneumatiques. Pour cela il suffit de taper un certain nombre de mots-clés que nous ne reproduisons pas ici pour ne pas promouvoir ce trafic.
Comment s’organise ce business lucratif et criminel ? Si les passeurs multiplient les annonces sur TikTok, leurs identités sont en revanche bien dissimulées derrière des pseudos et des paysages idylliques de Londres. Dans un rapport publié en juillet 2023, Europol souligne la complexité d’identifier les passeurs 2.0 : “les outils numériques utilisés pour organiser et mener les activités de trafic de migrants ajoutent une couche supplémentaire de protection pour les dirigeants des réseaux criminels, qui résident tant à l'intérieur qu'à l'extérieur de l'UE”.
D'après les autorités, “les embarcations s’agrandissent et embarquent plus de personnes pour rentabiliser les traversées. Certains jours, jusqu’à 70 personnes peuvent être présentes sur chaque embarcation. L’augmentation de la taille des embarcations va de pair avec une professionnalisation des réseaux de passeurs qui organisent les départs de manière méthodique”.
Pour découvrir qui se cache derrière ces comptes de passeurs, nous avons notamment utilisé des outils OSINT de recherche d’image inversée, les réseaux sociaux et des méthodes d’enquête traditionnelles, notamment en contactant ONG et experts du sujet pour étayer notre enquête.
C’est ainsi que nous avons réussi à remonter jusqu’à un passeur, du nom d’Hemn, originaire de Kalar en Irak. A l’instar de ce passeur, les Kurdes tiennent aujourd’hui une place centrale dans le trafic de migrants dans la Manche. D’après Tuesday Reitano, directrice adjointe de Global Initiative Against Transnational Organized Crime, une ONG ayant publié un rapport sur les passeurs dans la Manche début 2024, “les passeurs kurdes ont pris le contrôle de principaux points d’embarquement côtiers dans le nord de la France depuis 2019-2020.
Ils se divisent le territoire en fonction de leurs régions d’origine : Erbil, Souleimaniye, Ranya, Shahrizor et Sardacht en Iran, chaque groupe de passeurs contrôlant un point exclusif.
Le trafic d’être humains remonte à loin chez les Kurdes parce qu’ils sont originaires d’Irak, d’Iran, de Syrie, de Turquie, de pays qui connaissent une grande instabilité. Ils ont depuis longtemps une tendance à l'émigration que les passeurs kurdes ont facilitée parce qu’ils viennent souvent des endroits d'où les migrants sont originaires.”
Bibliographie :
- Rapport “Criminal Networks in Migrant Smuggling”, Europol, juillet 2023
- Rapport “TikTok’s DSA Transparency Report 2023”, TikTok, septembre 2023
- Rapport “Small boats, big business : The industrialization of small boats in migrant smuggling across the Channel”, Global Initiative Against Transnational Organized Crime, 2024
- “Les Plages de l’Embarquement”, Julien Goudichaud, Nicolas Torrent, Les Arènes, 04 mai 2023
- Bilan opérationnel de la Préfecture maritime Manche et mer du Nord 2022